Partager l'article ! Bois de Boulogne et humanité: Je publie ici le témoignage d'un travesti, ancienne actrice de ce théâtre à ciel ouvert qu’ ...
Je publie ici le témoignage d'un travesti, ancienne actrice de ce théâtre à ciel ouvert qu’est le bois de Boulogne. Vous y trouverez une approche humaine,
amoureuse, que je souhaite à tout punter de trouver lorsqu'il rencontre une escort-girl.
« On vient au Bois de Boulogne du monde entier. Comme transsexuelle pour s’y prostituer, mais aussi comme touriste pour visiter, éventuellement consommer. Ainsi, dans ce lieu de réputation internationale, j’ai eu un plaisir renouveléd’avoir pour client un anglais qui me disait être expatrié en extrême orient. Lors de ses séjours de détente à Londres, il prenait le TGV pour venir respirer au bois de Boulogne. Lors de nos échanges en voiture, nous devisions en anglais, et je lui offrais sans retenue ce que l’accueil de Paris peut offrir à ses visiteurs. Les chauffeurs de voiture de grande remise savent combien un détour au bois est apprécié par les congressistes rentrant la nuit dans leur hôtel.
Le monde des allées du bois est brutal. La brutalité peut y surgir à tout moment. Chez les filles d’abord, et en provenance des passants ensuite.
D’abord, parce que la drogue règne. Il est très déstabilisant de côtoyer une nuit une transsexuelle agréable, rigolote, sympathique voire cajoleuse, et de la sentir le lendemain anxieuse, irritable, injurieuse.
Les relations entre transexuelles sont marquées par les clans, les origines ethniques. Un travesti est plus ou moins accepté par elles selon les clans, selon l’humeur de la meneuse. Si j’ai eu une excellente entente avec des tahitiennes, les asiatiques m’ont souvent créé des problèmes. Dans ce cas, je suis adepte de la fuite comme moyen de règlement du conflit. Parfois cette fuite se passe sous les lazzis et les cris de « vas-t’en salope ! »… interjection somme toute assez gentille, car ce pourrait être « vas-t’en PD ». La cohabitation que j’ai pu avoir avait un côté paradoxal : j’ai parfois eu l’impression d’une certaine jalousie de la part des filles, alors qu’incontestablement la clientèle est ultra majoritairement attirée pas les transsexuelles, même en pantalon, même sans talon aiguille. Je trichais, parce que lorsque mes voisines de trottoir disparaissaient en voiture dans un endroit discret, elles ne pouvaient pas deviner à leur retour si moi j’avais pris racine ou si j’avais fait une bonne rencontre. J’en jouais bien entendu, afin de ne pas me couvrir de ridicule. Mais la transsexuelle est la reine du bois, et c'est elle qui en fait sa réputation.
Pour ce qui concerne les passants ils passent majoritairement sans consommer. La fréquentation du bois par des bandes de jeunes qui veulent casser du PD ou se distraire oblige à rester vigilante sur ses talons aiguilles. Le jet de bouteille est courant depuis une voiture peuplée de rigolards en goguette. A pied, c’est le vol des sacs qui est fréquent, et les pickpockets visent les prostituées comme les passants. Mais heureusement, il y a le gentil voyeur, il y a le gars qui vous demande toutes les nuits le prix et si ca marche, et qui aime discuter… Il peut être à vélo ou en tenue de jogging à une heure du matin ! Il va se faire rabrouer par celle qui est stressée parce qu’elle n’a pas fait son compte : « allez, il faut payer… », prononcé avec un accent caractéristique, un peu nasillard. Il y a aussi celui qui tente de l’avoir gratuit, comme cet agent des parcs et jardins qui prend son service tôt le matin après une petite gâterie. J’aime ces gens là, ils vous disent que vous êtes mignonne… ils sont bien éduqués. Il y a le petit jeune à cyclo, qui enlève ses gants en demandant s’il peut toucher… ça me rappelle ma jeunesse. Il y a l’accroc du sexe, l’homme très bien monté, l’homme qui vous invite a faire un tour en voiture, qui vous demande de vous exhiber, ou de faire l’amour avec un passant qui n’en demande pas plus et disparait l’affaire faite.
Dans ce lupanar nocturne, la police tourne, vigilante dans le cadre d’une mission de surveillance générale. Le piéton comme la péripatéticienne peut faire appel à eux en cas d’agression. Les contrôles existent, les ramassages périodiques aussi. Mais le fichage est-il si grave ? Il faut bien prendre conscience que certains êtres qui n’ont que le bois pour travailler vivent en dehors des circuits sanitaires. Le travail fait par des associations offre une possibilité de ne pas sombrer totalement… mais la drogue détruit tellement d’individus sans repères, prisonniers des remboursements qu’ils doivent faire pour leur venue à Paris, leur opération… Le poste de police ? Une cage comme dans les films, des inspecteurs qui ont vraiment d’autres choses plus importantes à traiter. Ils ne sont pas vraiment étonnés quand on discute de choses sérieuses avec eux, ils voient du monde… Le plus embêtant, c’est de repartir minablement en talon et minijupe après 8 h du matin, avec une barbe renaissante sous un maquillage ravagé. Le moment où l’on mesure sa stupidité, et où la disparition de l’esthétique vous fait décider de ne plus recommencer… ce que l’on fait durant quelques semaines.
Dois-je pour autant regretter les fréquentations de ce monde ? Je ne le fais pas. Parce que c’est la vie, le genre humain, parce que j’ai des souvenirs extra ordinaires d’hommes que j’ai trouvé amoureux, des hommes respectueux. J’aime cet homme costaud, en cote bleue, dans sa voiture de société disposée en face de la bordure du fourré où j’étais postée, un matin d’hiver à 8 heures, alors que le jour blafard se lève, que les dernières transsexuelles font du stop pour rentrer place de Clichy. Sandwich, café dans un thermos, placide. Je bouge pour ne pas geler, en talons et bas dans le froid et l’humidité montante. Il achève son petit-déjeuner, ferme le thermos, s’essuie, range ses affaires, ferme le sac, range le sac. Il sort de son petit véhicule, se dirige vers moi, placide, le visage sans expression. La fellation était le dessert de cet homme organisé. Un dialogue utilitaire, je lui donne un peu de bonheur, je le vois partir vers son chantier, braguette refermée avant de monter dans sa voiture ; et je suis heureuse de participer à l’humanité des vivants. »
Les voyageurs savent que pour découvrir l’âme d’une ville, il faut fréquenter ses bas-fonds. Baroque, sordide… mais aussi humain, vivant, sensuel parfois, c’est le bois de Paris.
Je souhaite vivement avoir un retour sur ce témoignage. Je vous remercie de laisser un petit commentaire. Cela ne prend que deux minutes en suivant ce lien.